Le Courrier du Soir-By Cheikh Dieng -30 mars 2020
Nous sommes entrés dans un monde nouveau où rien ne sera désormais plus comme avant. En effet, l’irruption brusque, brutale et tragique du Coronavirus ne doit pas être seulement comprise comme le déclenchement d’une crise sanitaire sans précédent. Elle l’est certes. Mais, elle marque aussi un tournant dans l’Histoire, comme ce fut le cas en 1989 avec la Chute du Mur de Berlin ou en 2001 avec les attentats du 11 septembre.
La Chute du Mur de Berlin avait mis fin à la bipolarisation du monde jadis dirigé par deux puissances : les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Avec la chute du Mur, les Etats-Unis venaient ainsi de remporter une première victoire idéologique cruciale qui érigera le capitalisme comme le seul modèle de développement économique possible que toutes les nations devaient embrasser.
La Chute du Mur de Berlin en 1989 marqua également un tournant historique en Afrique, car un an plus tard, en 1990, le fameux discours de Baule prononcé par François Mitterrand permettra de mettre fin au multipartisme sur le continent et remettra les pays africains sur la voie de la démocratie.
Le communisme était mort et enterré. L’Union Soviétique était vouée à la disparition et d’ailleurs, elle disparaîtra, morcelée en plusieurs pays qui n’hésiteront pas à rejoindre l’OTAN. Les Etats-Unis, à travers une victoire idéologique indéniable, venait ainsi de s’ériger en maîtres du monde, contrôlant l’économie mondiale et imposant le dollar comme seule devise dans les échanges internationaux.
Depuis 1989, le monde est totalement contrôlé par les Etats-Unis qui, à travers le dollar, le complexe militaro-industriel et même la culture (Hollywood) pouvaient se permettre de neutraliser tout ennemi qui se dresse sur leur chemin sans coup férir. 30 ans plus tard, un minuscule virus vient tout changer. Désormais, cette suprématie américaine sur le monde va disparaître inéluctablement.
En effet, la pandémie qui secoue notre monde depuis trois mois a plongé l’économie mondiale dans une crise sans précédent, pire que celle de la Grande Dépression, mais aussi pire que celle de 2008. Jamais, le monde n’avait connu un choc pareil et des puissances économiques mondiales risquent d’y laisser des plumes.
Cette situation inédite nous oblige à nous poser la question : dans quel monde vivrons-nous demain ? Cette question a été maintes fois posée et jusqu’ici personne (ni moi d’ailleurs) ne détient la réponse. Néanmoins, si je devais m’efforcer de fournir une réponse à une question aussi cruciale, je dirais que, dans un futur proche, nous serons face à quatre scénarii.
Premier scénario : les Etats-Unis cesseront d’être la première puissance économique du monde. Il y a cinq mois, personne n’aurait imaginé un scénario pareil. L’économie américaine, sous Trump, se portait à merveille avec des chiffres impressionnants. En effet, en avril 2019, plus de 263.000 emplois avaient été créés aux Etats-Unis. Pendant ce mois, on a pu noter une légère baisse du taux de chômage qui passe de 3,8% à 3,6%. Pour la première depuis 1953, note Fox News, le taux de chômage chez les femmes avait atteint les 3,1%, soit le taux le plus bas depuis cette date. Chez les Latinos, le taux de chômage était à 4,2%, soit son plus bas niveau depuis 1973 contre 1,7% pour les vétérans de la guerre d’Irak et d’Afghanistan.
L’embellie économique sous Trump était visible partout. Plus de 4.000 postes ont été créés dans l’industrie. Plus de 33.000 emplois avaient été créés dans le secteur de l’immobilier, 76.000 dans les nouvelles technologies, 62.000 dans l’Education et 34.000 dans le secteur hôtelier. Même les médias les plus Trumpophobes lui tiraient le chapeau bas, reconnaissant au 45ème président son très bon bilan économique. C’est ainsi qu’en octobre 2019 le média CNBC rapporte que le taux de chômage chez les Noirs ne se situait qu’à 5,5%, soit son taux le plus bas de l’Histoire et en 2019, le PIB américain avait connu une hausse de 2,3% par rapport à l’année précédente, à en croire les données de CountryEconomy.com.
Depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, le PIB annuel et le PIB per capita ont connu une hausse significative. En voici la preuve : PIB annuel en 2019 (21.427.100 millions de dollars), 2018 (20.580.200 millions de dollars) et 2017 (19.519.400 millions de dollars). Le PIB per capita en 2019 (65.456 dollars), 2018 (62.869 dollars) et 2017 (60.000 dollars). Il n’y avait aucun doute que Trump, en matière d’économie, avait fait mieux que son prédécesseur et si le facteur économique suffisait à réélire un président, sa réélection à la tête des USA aurait été obtenue dès 2019.
Hélas, en seulement deux semaines, tout s’effondre comme un château de cartes. Désormais, même une récession n’est plus écartée. En effet, dpuis une semaine, les mauvaises nouvelles sur le plan économique s’accumulent et le taux de chômage risque d’atteindre un niveau record, jamais enregistré dans l’Histoire de ce pays. Là également les chiffres sont impressionnants. Ainsi, le 23 mars, la Fed (Banque Centrale Américaine) assène un coup de poignard à Trump annonçant que le taux de chômage pourrait désormais atteindre les 30%, une hausse record qui n’avait même pas été enregistré durant la Grande Dépression de 1929. Le Covid-19 dévaste tout sur son passage, car au mois de mars, en une semaine, il renvoie 3,3 millions d’Américains au chômage, d’après un rapport du Department of Labor (ministère du Travail).
Les grandes villes ne sont pas épargnées. New York enregistre 80.500 chômeurs en une semaine le 27 mars. A la même période, 186.809 résidents de la Californie sont mis au chômage contre seulement 57.606 une semaine plutôt, d’après le Los Angeles Times. A Missouri, le taux de chômage connait une hausse de 30% le 26 mars, soit 180.000 personnes affectées par les conséquences dévastatrices du virus. Dans l’Etat de Washington, en une semaine, le taux de chômage atteint les 843% le 26 mars, faisant passer le nombre de chercheurs d’emplois de 6.000 à 133.478 en une seule semaine.
L’économie américaine est désormais à terre et les risques d’une récession ne sont plus écartés par la Fed. « Il se peut bien que nous entrions en récession », reconnaît d’ailleurs Jérôme Powell, PDG de la Réserve Fédérale (Fed), dans une interview accordée à la chaîne américaine, NBC le 26 mars. Pour la première dans l’histoire des Etats-Unis, la Fed accuse un bilan de 5.000 milliards de dollars, soit une hausse de 12,4% comparé à une semaine plutôt. Je dois ajouter qu’au tout début de la crise sanitaire, la Fed avait déboursé 75 milliards de dollars pour faire face à la pandémie après voir revu à la baisse ses taux d’intérêt, ce qui suppose une baisse du pouvoir d’achat de l’Américain moyen.
C’est dans cette crise financière qu’est d’ailleurs née une expression jusqu’ici peu connue du grand public : Helicopter Money. L’image que donne cette expression est celle d’un hélicoptère qui, du ciel, verse des billets de banques à des citoyens dans le besoin. Et c’est exactement ce qui s’est passé, car fin mars, le Congrès et la Chambre des représentants ont trouvé un accord pour débloquer un montant de 2.000 milliards de dollars (une première dans l’histoire des Etats-Unis) afin de sauver l’économie et éviter à tout prix la récession qui serait dramatique pour l’administration Trump.
L’argent est réparti comme suit : des millions de citoyens américains adultes recevront individuellement 1.200 dollars contre 500 dollars pour les enfants. 377 milliards seront consacrés aux petites entreprises, 500 milliards aux entreprises très touchées par le coronavirus, 100 milliards seront destinés aux hôpitaux et 250 milliards seront consacrés aux allocations chômage. L’Amérique du Nord est économiquement morte. Elle tente cependant de rassurer les marchés financiers pour ne pas aggraver une crise délétère. L’effondrement économique de ce géant ne se fera pas brusquement. Cela prendra du temps, mais il arrivera tôt ou tard. Les Etats-Unis, pour éviter un tel scénario, n’auront pas d’autres choix que de recourir à la force. Une troisième guerre mondiale non plus n’est plus à écarter
Deuxième scénario : l’Union Européenne va disparaître. La crise actuelle qui secoue le monde entier a permis de révéler que l’Union Européenne dont se vantaient les élites européennes depuis plusieurs années est à l’agonie. En effet, jamais elle n’a été aussi divisée entre une Europe du Nord riche et égoïste qui refuse catégoriquement de venir en aide à une Europe du Sud en crise sur tous les plans. Aujourd’hui, cette guerre diplomatique qui oppose d’une part l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la France et de l’autre, les Pays-Bas et l’Allemagne augure un futur incertain. Si les élites continueront de chanter les louanges d’une Union Européenne nécessaire pour la survie du vieux continent, les peuples finiront par sanctionner. Déçus et totalement abandonnés, ils finiront par porter le dernier coup de grâce à une Union moribonde qui a montré ses limites dans une crise d’une telle ampleur.
Troisième scénario : l’Afrique pourrait enfin s’affranchir. Longtemps contrôlée par les puissances occidentales qui lui imposent des modèles économiques très déconnectés des réalités du continent et qui, à travers le pillage de ses ressources naturelles, l’empêchent carrément de sortir de la pauvreté et de la misère, l’Afrique pourrait enfin s’affranchir de la tutelle de l’Occident.
Et le moment n’a jamais été aussi propice, car, au sortir de cette crise, les puissances occidentales jadis très influentes sur le Continent Noir, notamment la France et les Etats-Unis, feront face à une crise économique sans précédent qui les empêchera de jouir de leur position de gendarmes du continent. Une énorme opportunité que les dirigeants africains devront saisir pour exiger désormais un traitement d’égal à égal et une coopération gagnant-gagnant.
Quatrième scénario : la Chine dirigera le monde sur le plan économique. En effet, le seul pays sorti vainqueur de cette crise est sans doute la Chine. Très frappé par la pandémie en janvier, l’Empire du Milieu avait très vite réagi en prenant des mesures certes totalitaires mais qui se sont avérées très efficaces dans la lutte contre le virus. Son économie en a certes souffert, mais aujourd’hui, la ville de Wuhan n’est plus en quarantaine et 75% de l’activité économique est en marche, ce qui est un succès total dans un pays qui compte plus d’1 milliards d’habitants.
J’ajoute également que depuis deux semaines, la Chine est devenue incontestablement le moteur du monde et des puissances occidentales (Espagne, Italie) ne se gênent plus de tourner le dos à l’Union Européenne et de solliciter son aide au moment de se procurer des masques. Sa présence en Afrique qui a largement suscité la colère et la jalousie de l’Occident n’a jamais été aussi importante. En effet, depuis deux semaines, Pékin fait le tour du continent pour offrir gratuitement masques et matériel sanitaire à des pays africains avec lesquelles il a noué de très fortes relations au fil des ans, ce qui, à la fin de la crise, aura un impact très significatif sur sa présence en Afrique et créera un rapprochement sans précédent entre l’Empire du Milieu et le Continent Noir au grand dam de l’Occident dont la présence est de plus en plus contestée par la jeunesse africaine.
Certains me poseront la question : “mais, qu’en est-il de la Russie?”. Et bien, la réponse est simple. La Russie sera la première puissance militaire du monde. Il suffit pour cela de suivre l’actualité politique de ce pays pour savoir que les Russes s’y préparent depuis plusieurs années. D’ailleurs, en janvier 2018, Poutine se vantait en ces termes : “l’armée russe est l’une des plus puissantes au monde”.
Les quatre scénarii qui viennent d’être présentés restent des scénarii. Ils ne reflètent en aucun cas la réalité. Cependant, une chose est sûre : ce monde va complètement changer dans un futur proche et l’Occident perdra une grande partie de son influence à la fois politique, militaire et économique au profit de l’Asie.