Le « Fonds de mise en valeur du patrimoine privé de l’État grec », ou TAIPED |1|, a été établi en 2011 dans le cadre du 2e mémorandum. Son statut juridique est celui de société anonyme avec un actionnaire unique : l’État grec. La troïka est fortement impliquée dans toute décision le concernant. Elle assure, avec deux observateurs, le contrôle du conseil d’administration, et nomme trois des sept membres du « Comité d’experts ». Le TAIPED est financé par le produit de privatisations, de concessions d’utilisation ou d’exploitation, estimé à 50 milliards d’euros, un chiffre qui ne se base sur aucune réalité. Les privatisations et les concessions ne prennent pas en compte la valeur réelle des actifs grecs, sous-estimés du fait de l’écroulement économique |2|. Il gère aujourd’hui le plus important programme de privatisation au monde.
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Au cours des années suivant sa création -des années marquées pour la Grèce par une profonde récession et une crise humanitaire allant en s’aggravant- le TAIPED a souvent été volontairement associé par les dirigeants politiques grecs à un discours vantant les « privatisations » comme des « investissements » nécessaires au pays. Les gouvernements successifs ont cherché à éviter une réelle prise de conscience de la vraie nature de ce programme, baptisé par Syriza, avant sa prise de pouvoir, de « Chenil des scandales » |3|. Pensé par les « instances » non élues de l’Union européenne comme un fonds qui allait permettre de rembourser -sur le court terme- une partie de la dette publique contractée par le pays, le TAIPED conduit aujourd’hui la Grèce à brader une quantité exorbitante de ses biens, ce qui permet aux « acquéreurs vautours », étrangers comme locaux, de s’approprier ou d’exploiter -dans le cadre de concessions d’utilisation et d’exploitation- une très grande partie de son patrimoine.
Le portefeuille du TAIPED comprend des infrastructures, aéroports, ports, routes, autoroutes et autres, des sociétés, eau, électricité, exploitation des ressources naturelles, téléphonie, jeux d’argent et de très nombreux biens immobiliers : des milliers d’hectares de terrains –surtout en bord de mer- et un très grand nombre de bâtiments publics abritant des services et des organismes publics.
La loi fondatrice stipule que l’utilisation des biens publics grecs peut se faire par vente, location, gestion des affectations, concession… Les biens transférés entrent dans le fonds sans contrepartie. Il reçoit la pleine propriété et la possession immédiate des biens transférés lesquels ne peuvent plus retourner dans le secteur public.
Le but du TAIPED est bien le démantèlement et l’exploitation par le privé de l’ensemble du patrimoine de l’État grec. De très nombreux décrets et textes de lois ont été mis en place dès 2010, des procédures rapides visant à contourner le cadre législatif pour la protection de l’environnement et le développement durable ont été adoptées, réduisant d’autant le rôle et le contrôle de l’État. Les textes de lois ont été amputés de la notion de patrimoine « public », ce qui a ouvert la porte aux exploitations incontrôlées, en particulier celle des zones naturelles protégées.
Les privatisations s’opposent aux politiques de défense de l’environnement. Alors que tous les sites naturels protégés étaient regroupés dans ce qu’on appelle le « patrimoine public », qu’ils soient publics ou privés, avec le TAIPED ils tombent dans le domaine privé. C’est ainsi que la disparition de la notion de « patrimoine public » ou commun, signe la fin de la protection des sites. Il en va de même de la totalité des ressources énergétiques de la Grèce en cours de privatisation, comme le pétrole, le gaz naturel, l’électricité, l’eau et de très nombreux sites en montagne pour y installer des éoliennes, etc. La politique extractiviste, le pillage des communs pratiqué depuis des siècles dans les pays en développement, par des entreprises privées ou des États colonisateurs, bat son plein dans la Grèce d’aujourd’hui. L’installation de mines privées et autres sociétés extractivistes dans des sites comme Skouries |4| -non gérés par le TAIPED pour l’instant- en sont un exemple caractéristique.
Le nombre de terres, d’îles, de sites naturels en bordure de mer ou de lacs en vente est tel qu’en ne prenant en compte que la privatisation des accès –à la mer, aux lacs et rivières- ou la taille des projets futurs, on peut se faire une idée du bouleversement écologique à venir. Son ampleur sera catastrophique à l’échelle du territoire grec. Aucune étude sur l’avenir de ces zones à la suite de ces « plans de privatisation » n’a été réalisée par l’État grec. Les biens mis en vente ont été choisis selon la logique du bénéfice maximum sur le court terme. Les quelques études de faisabilité citées sur le site du TAIPED sont réalisées par des bureaux d’études fantômes qui ne sont là que pour valider les ventes. Le « développement » proposé -une catastrophe certaine- se fait au nom de la croissance du tourisme. Il suffit de jeter un coup d’oeil au site du fonds pour se rendre compte à quel point le « développement » en question sera destructeur pour l’environnement et l’esthétique des lieux, ce qui sera à terme contre-productif.
Pour la première fois, au cours de l’histoire grecque, les plages grecques et toutes les terres situées en front de mer sont en danger de perdre leur caractère public autant que leur caractère naturel, à l’image des immenses projets touristiques en Espagne. Des catastrophes écologiques autant que des destructions de paysage. Les sites archéologiques et les bâtiments de grand intérêt culturel ne semblent pas non plus être à l’abri.
Un grand nombre de zones « ouvertes à l’exploitation » se trouvent dans des zones de protection internationale (Ramsar, Natura 2000) et la question se pose de savoir qui paiera les amendes des traités internationaux qui ne seront pas respectés. Dans l’ambiguïté générale en matière de bien public, le patrimoine hellénique est pris en sandwich entre ce qui est censé être protégé, une catégorie qui tend pourtant à disparaître, et ce qui peut être considéré comme une propriété privée de l’État. De nombreux sites ont déjà été vendus, certains en bord de mer, d’autres avec des lacs naturels, sans qu’aucune clause de protection, étude des dangers et impacts écologiques ne soit inclue dans les contrats de vente aux investisseurs.
Tel est le résultat de la politique impulsée par la Troïka européenne, aujourd’hui Quartet, au nom du remboursement de la dette publique du pays. Pourtant au moment des premiers problèmes, en 2009, son montant était de 127 % du PIB. Un an après le 3e mémorandum signé par le gouvernement socialiste Syriza en 2015, cette fameuse dette publique approche les 185 % du PIB. L’écroulement social et économique de la Grèce, dû à ces politiques imposées de l’extérieur et privilégiant le remboursement de dettes illégitimes et insoutenables, selon les textes internationaux comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en est la cause.
Nous ne pouvons que constater le mensonge du Quartet prétendant créer les conditions économiques du remboursement. Ce dépeçage de la Grèce au nom du paiement de la dette n’est-il pas le but caché de ces mémorandums ? Cela ne relève-t-il pas d’une époque que l’on pensait disparue, celle de la politique de la « canonnière », de la prison ou de l’esclavage pour dette impayée ? Veut-on faire subir à la Grèce un sort analogue à celui d’Haïti, qui, contrainte de payer pendant un siècle une rançon à la France, est aujourd’hui complètement dominée par des intérêts étrangers, et dont la population vit dans une très grande pauvreté ?
Eleni PANOUSI
Notes :
|1| Remplacé par le HCAP S.A (Hellenic Corporation of Assets and Participations S.A.) Plus d’infos voir : Le triste anniversaire du troisième mémorandum : http://www.cadtm.org/Le-triste-anniversaire-du-3e
|2| « Entre 2010 et 2015, les privatisations grecques n’ont rapporté que 5,4 milliards d’euros ». Romaric Godin, « Grèce : la vraie nature du troisième mémorandum », La Tribune, 15/7/2015
|3| SYRIZA avait publié, avant de prendre le pouvoir, un rapport exhaustif qui faisait état des grands scandales en Grèce. Il s’agit de « la Bible noire de la honte », EEKE, Commission de transparence des Affaires publiques, Syriza, publiée en Mai 2014. Le chapitre dédié au TAIPED avait pour titre « TAIPED, le chenil des scandales ou les bonnes privatisations ! “La Bible noire de la honte », pages 94 à 107. https://issuu.com/blackbook14/docs/mauri_vivlos_dropis_low2
|4| Il s’agit de la mine d’or, « Hellenic Gold », investisseur privé sur le site de Skouries à Halkidiki, ancien site forestier d’une grande beauté, aujourd’hui pillé de ses richesses naturelles et dangereusement pollué.
source: http://www.interet-general.info/spip.php?article23676